Coca etc.

La Bolivie lutte contre la cocaïne, mais défend la coca, un article de Chrystelle Barbier.

" Le geste attentionné, Bernardo Tarquino cueille une à une les feuilles vertes poussant sur les arbustes de son terrain de Minachi, dans la province de Nor Yungas, en Bolivie. « Ici, nous produisons de la coca depuis des générations », sourit le grand-père, qui assure que « sa » feuille se destine à l’acullicu, un mot aymara décrivant l’acte de mastiquer les feuilles pour bénéficier de ses bienfaits.
« La coca coupe la faim et donne de la force pour travailler », affirme l’agriculteur de 75 ans, qui rappelle qu’elle limite aussi le mal de l’altitude touchant souvent les visiteurs des hauts plateaux andins voisins. Sacrée du temps des Incas, la coca est prisée des populations andines depuis des siècles pour ses valeurs nutritionnelles et médicinales.
Mais la feuille, contenant des alcaloïdes, est utilisée pour élaborer la cocaïne, une drogue qui fait des ravages dans le monde. Parfois destinée à un usage traditionnel, parfois au narcotrafic, la feuille de coca représente un défi majeur pour les pays qui la produisent comme la Bolivie, troisième producteur mondial de coca (23 000 hectares), derrière le Pérou (49 800 ha) et la Colombie (48 000 ha).
A ce jour, la Bolivie n’a pas réussi à convaincre les Nations unies, mais a obtenu, en 2013, qu’une clause spécifique autorise la mastication de la coca sur ses terres
Avant d’être élu président en 2006, Evo Morales, réélu deux fois depuis, cultivait lui aussi la coca, dans la province du Chapare (sud-est), une région tropicale, deuxième plus grosse zone de production de coca du pays après les Yungas. Une culture qu’il a toujours défendue face aux gouvernements en place et à leur politique de « coca zéro », qui visait à éradiquer de manière indiscriminée. A la tête des Six fédérations du tropique de Cochabamba depuis 1996, il a mené de nombreuses manifestations aux cris de « vive la coca, mort aux Yanquees ! », le slogan du puissant syndicat.
De fait, à son arrivée au pouvoir, une des incertitudes concernait la politique antidrogue qu’il allait mener. Neuf ans après son élection, la politique d’Evo Morales, qui n’a jamais renoncé à son poste de dirigeant syndical cocalero, reçoit non seulement l’appui des producteurs de coca, mais aussi de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). « Les superficies consacrées à la feuille de coca ont baissé de 26 % en trois ans, atteignant les 23 000 hectares en 2013, soit la superficie la plus faible depuis 2002 », se réjouit le représentant de l’ONUDC à La Paz, Antonino de Leo, pour qui « l’expérience bolivienne est unique à plusieurs titres ».
Dignité
« Les soupçons qui existaient dans la communauté internationale sur le processus de changement lancé par Evo Morales font désormais partie du passé », a salué le ministre de l’intérieur bolivien Hugo Moldiz, le 9 mars, alors qu’il présentait fièrement le « modèle bolivien » de lutte antidrogue dans le cadre de la 58e session de la Commission sur les stupéfiants de l’Assemblée générale des Nations unies.
Afin de « rendre sa dignité à la feuille de coca », le gouvernement bolivien a ainsi entamé dès 2006 une campagne internationale visant à dépénaliser la coca et à a retirer de la liste des stupéfiants, établie en 1961 par la convention de Vienne. A ce jour, la Bolivie n’a pas réussi à convaincre les Nations unies, mais a obtenu, en 2013, qu’une clause spécifique autorise la mastication de la coca sur ses terres. « La Bolivie est le seul pays au monde ayant une telle clause », souligne Antonino de Leo. La culture de la coca traditionnelle est actuellement autorisée sur 12 000 hectares dans le pays.
L’autre réussite bolivienne aux yeux de l’ONUDC est la politique de contrôle social « à travers laquelle l’Etat dialogue avec les producteurs et respecte les droits de l’homme », explique Antonino de Leo. Les cocaleros s’engagent à ce que les cultures aient lieu dans les zones autorisées, mais aussi à réduire de manière volontaire les surfaces cultivées. « Nous contrôlons que personne ne s’installe dans les zones interdites », confirme Jesus Quisbert, un producteur de Coripata, dans les Yungas, qui applaudit le changement radical de politique observé par la Bolivie depuis 2006.
« Il ne faut pas oublier qu’aucune culture n’entre en concurrence avec la feuille de coca, qui reste la plus rentable de toutes »
« Alors qu’avant, nous devions nous battre contre les autorités qui nous réprimaient, nous travaillons aujourd’hui en concertation avec le gouvernement pour contrôler la production », ajoute le cultivateur, convaincu qu’« aider le gouvernement, c’est aussi une manière de protéger nos cultures traditionnelles du narcotrafic ». Car, si 93 % de la production des Yungas est commercialisée sur le marché légal de Villa Fatima à La Paz, confirmant l’usage traditionnel de la coca produite dans cette région, 10 % seulement de la feuille de coca produite dans le Chapare s’échangerait sur le marché légal, selon des chiffres de l’ONUDC. Le reste est vendu de manière illégale, soit sur un marché non reconnu par l’Etat mais réservé à la consommation traditionnelle, soit aux trafiquants de drogue.
Il est difficile de savoir combien de tonnes sont destinées au narcotrafic. En 2013, plus de 11 000 hectares ont été détruits par le gouvernement, toujours de manière concertée avec la population locale. Cette politique contraste avec la stratégie d’éradication forcée longtemps menée dans le pays avec le financement des Etats-Unis, avant que leurs représentants ne soient expulsés de Bolivie en 2008. Une stratégie qui continue aujourd’hui sous l’égide de Washington dans le Pérou voisin.
Zone de transit
Un des grands défis d’Evo Morales est aujourd’hui d’éviter que les cocaleros s’installent dans les parcs naturels. Entre 2010 et 2013, les cultures en zone protégée ont baissé de 53 %, mais la menace est réelle. « Il ne faut pas oublier qu’aucune culture n’entre en concurrence avec la feuille de coca, qui reste la plus rentable de toutes », insiste Antonino de Leo. Le prix moyen du kilo de feuilles de coca en Bolivie était de 7,80 dollars (5,60 euros au cours actuel) sur le marché légal, en 2013, selon l’ONUDC, qui estime que la production totale du pays (36 342 tonnes) représenterait quelque 283 millions de dollars. Environ 48 % de cette production se vend en toute illégalité.
« La Bolivie est aussi un pays producteur de cocaïne », rappelle M. de Leo. Quelque 155 tonnes de cocaïne seraient produites par an. De plus, « la partie orientale de la Bolivie est une zone de transit entre la principale région de production de cocaïne du monde, au Pérou, et la principale zone de consommation de drogue de la région que représentent Sao Paulo et Rio, au Brésil », avertit le Péruvien Ricardo Soberon, du Centre de recherche sur les drogues et les droits de l’homme, qui note la présence de nombreux cartels brésiliens dans le sud du pays, devenu une zone connue du narcotrafic. "

Pour mieux comprendre le dicton : "Chukuta, pico verde" (Habitants de La Paz = becs verts)....

merci Marie !