La journée de six heures : une idée irréaliste ?

Alternatives Économiques – Social
La journée de six heures : une idée irréaliste ?

Catherine André 06/05/2016

Depuis plus d’un an, une maison de retraite publique de Svartedalen, en proche banlieue de Göteborg, la deuxième ville de Suède, expérimente la journée de travail de six heures, sans baisse de salaire, pour ses aides soignantes. L’idée même, annoncée dès 2014, suivie de sa mise en place début 2015, du passage de huit à six heures de travail quotidien pour un groupe d’employées au service de personnes âgées, avait fait couler pas mal d’encre dans la presse internationale. La Suède, pays souvent à la pointe des expérimentations sociales et de l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, allait-elle passer à la journée de six heures ?

Evaluation approfondie
Même s’il connaît un regain d’intérêt depuis l’an passé, le concept n’est pas tout à fait nouveau en Suède. Depuis 2002, certains employés d’une usine de Toyota de Göteborg travaillent six heures par jour. Différentes tentatives de réduction du temps de travail ont déjà eu lieu dans quelques municipalités et entreprises suédoises, mais la plupart ont été interrompues en raison notamment des coûts induits. Reste qu’aucune d’entre elles n’avait fait l’objet d’une évaluation approfondie. C’est désormais chose faite.

Les résultats d’une première évaluation conduite sur l’année 2015 viennent d’être rendus publics, le 21 avril, et confirment l’impact positif de cette réduction du temps de travail, à plusieurs égards. « Les effets bénéfiques se sont faits sentir très vite : une énorme amélioration de l’environnement de travail pour les salariés comme pour les résidents », résume Daniel Benmar, maire-adjoint de Göteborg, du parti de gauche, (Vänsterpartiet), à l’origine du projet.

Les objectifs de cette expérience étaient triple : améliorer les conditions de travail des aides soignantes et des conditions de vie des personnes âgées, faire baisser le nombre des arrêts maladie et créer des emplois. Les avis du groupe des aides soignantes passées à six heures ont été recueillis et comparés avec ceux des aides soignantes du groupe témoin, dont les horaires de travail sont restés inchangés sur la même période d’observation. Pour compenser la diminution du temps de travail quotidien, l’établissement a dû recruter quatorze personnes, en CDI, sans bénéficier d’une aide publique supplémentaire.

Qualité de vie
L’étude montre en premier lieu une hausse significative du taux de présence au travail au sein du groupe expérimental, car les arrêts maladie ont considérablement diminué. « Les aides soignantes ont en effet déclaré être moins stressées, moins fatiguées, plus énergiques et estiment que leur qualité de vie a augmenté. Elles sont plus productives comparé non seulement au groupe témoin, mais aussi par rapport à l’ensemble des employés du secteur public de Göteborg », explique Bengt Lorentzon, le chercheur indépendant qui a conduit l’enquête pour le cabinet de consultant Pacta Guideline.

Qualité des soins
« Cela fait une grosse différence pour elles, mais aussi dans la qualité des soins qu’elles sont désormais en mesure de prodiguer aux résidents de la maison de retraite. Et c’était aussi l’un des effets recherchés. Cela se voit au quotidien, au nombre d’activités qu’elles proposent aux personnes âgées, qui ont augmenté de 64 %. L’attention portée aux résidents s’en est donc trouvée grandement améliorée, et ces derniers en témoignent », se réjouit-il.

Pour évaluer les coûts de ce passage aux six heures, Bengt Lorentzon a volontairement fait un calcul prenant en compte les économies réalisées à l’échelle nationale, et pas seulement à celle du budget de la commune (voir tableau ci-dessous). Si le coût brut annuel pour cette dernière est d’environ 6,6 millions de couronnes suédoises, il est réduit de plus de moitié si l’on déduit les économies réalisées à la fois sur le recours aux heures supplémentaires et aux vacataires, payés à l’heure, mais aussi grâce à la baisse des arrêts maladie, et pour la caisse d’assurance chômage, de la baisse des allocations versées.

Pour l’heure, l’expérimentation de la journée de six heures a été reconduite jusqu’à fin 2016, et fera l’objet, si elle n’est pas stoppée, d’une deuxième évaluation dans un an. En effet, le conseil municipal est repassé à droite aux dernières élections, et certains élus comptent soumettre au vote la prolongation actuelle de l’expérience, lors de la prochaine réunion du conseil municipal fin mai, en raison du coût qu’ils jugent trop élevé pour la municipalité.

« La réduction du temps de travail est vraiment un choix d’ordre politique : ses bienfaits d’une façon générale valent-ils le coup pour la société ? Voilà la bonne question à se poser. Il est indispensable de regarder sur la longue durée », insiste Bengt Lorentzon.

Pour Daniel Benmar, cette expérience pourrait être facilement étendue à toutes les aides soignantes du pays, profession à 96 % féminine en Suède. « Mais il faudrait pour cela le concours législatif et financier de l’Etat, qui pour l’instant ne s’y intéresse guère, alors que le rapport coûts-avantages serait nettement positif pour la société. Cela a en tout cas déclenché un bouillonnement d’idées dans de nombreuses autres municipalités », assure-t-il.

Expérience française
« Je reçois aujourd’hui quantité d’appels d’établissements et de communes intéressés. Au niveau national, la réduction du temps de travail a été très peu débattue. Et on a assez peu examiné les bénéfices de l’expérience française. Pourtant, l’amélioration de la qualité de vie et de travail des ouvriers est un objectif en soi. On ne cesse de repousser l’âge de la retraite, mais combien sont ceux qui y arrivent en étant encore en bonne santé ? Vu de cette façon, les coûts ne sont pas aussi élevés que le prétendent les opposants à la réduction du temps de travail », conclut, confiant, le maire-adjoint de Göteborg. A ses yeux, l’expérimentation ne sera pas interrompue.