alondras

Le miroir aux alouettes. Tout est flou.

Peut-être parce que Lison amène toujours plus de vin à la maison. Elle passe ses journées dans les licorerias, à choisir entre bouteilles chiliennes et bouteilles argentines, parfois espagnoles, de plus en plus boliviennes. Les repas dans les meilleurs restaurants de La Paz pour des Français en manque de bons accords mets-vins, ou les ateliers à l’Alliance française pour des Boliviens qui pensent que le vin blanc est toujours mauvais (mais qui changent rapidement d’avis !).

Moi, je n’aime les tannins que dans les betteraves !
Alors pour ce qui vient des débits de boissons, je me contente de la grenadine. Lison l’achète aussi par dizaines de bouteilles quand elle en trouve : l’entraide entre Français quoi. Alors je sirote. Et je ne vois plus l’Illimani. Normal parait-il, quand il est dans les nuages on a l’impression de vivre en plaine. Enfin, seuls les yeux sont bernés. Parce que les autres organes savent bien qu’on est à La Paz, et ils ne s’y font pas. Au contraire, fatigue après fatigue, mes deux peluches passent de plus en plus de temps dans leur lit, ce qui n’est pas pour me déplaire ! Utopie.

Pour m’occuper pendant qu’ils dorment, il y a bien toujours ce joli chat, qu’ils appellent Miroir, et qui fait tout comme moi. Mais jamais il ne me saute dessus ni ne me miaule à la figure. Jamais il n’entre dans mes cabanes ou ne mange mes croquettes. Alors, je fais semblant de l’ignorer.
Et surtout, jamais il ne vient faire de câlins aux pieds de Lison la nuit. Parce qu’on ne rigole pas avec mes sentiments. Dans ce pays, j’ai même appris à miauler (un peu) pour réclamer les caresses. Mots doux. Et à me mettre debout, comme un petit lion du cirque, pour atteindre leurs mains. Illusions. Mais celle qui me fait vraiment tourner la tête, c’est Julie, ma nounou des vacances. Maintenant que Marie aime les chats, moi j’aime Julie.... Tromperie.

Heureusement, ils ne partent pas si souvent, mes maitres. Et la Bolivie me facilite la vie. Avec leur amie Lucie de Toulouse, ils avaient prévu deux week-ends. Ils n’ont pas pu aller au lac, parce que quand les habitants de El Alto font la fête, c’est sur les principaux axes de sortie de la ville. Et ils ont dû remettre le Sajama à plus tard, parce que les mineurs manifestaient (à coup de dynamite comme d’habitude, et à coup de poings aussi cette fois).

Pour oublier toutes ces chimères, j’écoute Noëlle. Ses thèmes en trompe-l’œil et ses invités hallucinogènes.
Mais le soir, ce sont les films à gros budget qui me plaisent le plus. Quand il y a des couleurs vives et des engins motorisés, ça me captive. Et ça laisse du temps de cerveau disponible à mes deux peluches pour qu’ils fassent de jolis rêves, quand ils sont trop fatigués pour réfléchir. Songe. En revanche, les cris humains ne me touchent guère. Seuls mes deux bipèdes domestiqués peuvent m’émouvoir : ils sont tellement mignons quand ils dorment ! ou quand je les caresse et qu’ils montrent leurs dents de plaisir. Mythes. Série après série, film après film. Voilà notre quotidien. Et quelques dessins-animés (merci Marie !). D’ailleurs, toutes les idées sont les bienvenues : en Bolivie, le téléchargement est normal ; même dans les magasins de DVD officiels, les disques vendus sont des copies.
Et puis, Yves Calvi est parti et je connais déjà par coeur tous les épisodes de Maigret....

Entre deux siestes en mode Inception, que l’on trouvait désagréables avant mais dans l’état dans lequel nous met l’altitude on prend tout sommeil qui passe, je continue à m’inquiéter de tout. Ce n’est pas très bolivien comme attitude, mais je suis comme ça moi. Kevin utilise de plus en plus tous les instruments effrayants qu’il range dans la cuisine.
Et tous les matins, le grand monstre de métal du couloir le dévore, avant d’avaler à leur tour nos deux voisins.... Je me hérisse un peu plus chaque jour, quand les deux grandes dents se referment sur ces masochistes qui renouvellent l’expérience, peut-être juste pour me faire peur d’ailleurs ! Les voisins m’appellent "Leon".... ils doivent être un peu saouls eux-aussi. Il faut dire que les produits d’entretien des espaces communs de l’immeuble, à la forte odeur de mazout, atteignent les neurones de tout le monde.... Visions. J’avoue qu’être le roi des animaux me plait assez.
Mais dans ce pays, je me méfie un peu des responsabilités : les mineurs en grève ont torturé et battu à mort le vice-ministre de l’industrie venu négocier. Les mirages de l’altiplano.

Alors je suis très bien dans notre immeuble plein de gentils voisins. Sortir ne me tente plus trop.

alondras = alouettes