paguro

Enfin Lison et Kevin ont leurs affaires et moi leurs odeurs. Enfin je suis chez moi.

Le dressing est ouvert sur la chambre, mais je sens que ça ne va pas durer : à l’ambassade ils n’ont pas l’air d’apprécier la mode des pantalons de costume en poils de chat. Et dans le bureau de Lison, depuis que nous sommes arrivés, je vois s’entasser les cartons géants....
Déjà deux pièces me sont interdites :

le futur labo photo, fait dans la salle de bain de l’empleada que nous n’aurons pas. A Paris, je goûtais régulièrement la qualité des produits de développement, et mes maîtres ne comprennent pas que c’est pour les aider, rien d’autre. Et puis je ne peux plus aller aux toilettes avec les invités. Dans les premiers jours, j’ai tenté d’y créer une atmosphère originale : décos en papier-mâché.... Ils ont sûrement trouvé que ça n’était pas assorti aux horribles fleurs qui parsèment la faïence.

En France, nombreuses sont les âmes bienveillantes qui avaient lu pour nous dans le marc de leur café sud-américain la chute de notre conteneur au fond de l’Atlantique. Il n’en a rien été ! Et tout s’est même très bien passé, jusqu’à ce qu’on nous dise que notre boîte était arrivée à La Paz avec plus de cartons qu’indiqué sur la liste. Ce qui nous a valu, un matin, un message de notre éveillé déménageur français nous demandant de justifier cette situation.... C’est évident pourtant : nous avons atterri en hélicoptère au milieu de l’océan Atlantique sur le bateau portant nos affaires, pour ajouter quelques cartons en route !
Nous avons alors pensé que quelqu’un, jugeant que la capacité de remplissage de notre conteneur n’était pas atteinte, un physicien sans doute, avait voulu optimiser le périlleux voyage en poids-lourd sur les chemins boliviens. Nous n’avions pas vraiment de projet pour ces marchandises de contrebande supposée, alors tout s’est résolu, grâce à Valentina (si j’ai bien compris, ça veut dire « ange gardien » en bolivien) et Kevin, le plus diplomate de la famille. Avec Lison, nous avions déjà échafaudé des plans à base de griffes plantées dans les yeux....

Et puis on a reçu un autre message, rigolo celui-là, pour nous dire qu’on avait perdu notre douanier.... : “Lastimosamente nuestro agente de aduana, el Sr. O no puede ser ubicado, hemos tratado de comunicarlo a su oficina, celular, casa, etc. El Sr. O es el único que tiene toda la documentación del Sr. B y está a cargo de su trámite de importación, por lo que en su ausencia, nos vemos imposibilitados de realizar la validación final del trámite, Esperamos que el Sr. O aparezca en las próximas horas y no haya tenido ningún incidente personal”
(Malheureusement (ou Pitoyablement !) nous ne trouvons plus M. O, notre agent des douanes, nous avons essayé de le contacter à son bureau, sur son portable, chez lui, etc. M. O est le seul à détenir tous les papiers de M. B et il est en charge des formalités d’importation, de par son absence, nous nous trouvons dans l’impossibilité de réaliser la validation finale de l’importation, Nous espérons que M. O réapparaîtra dans les heures qui viennent et qu’il ne lui est rien arrivé.)
Et il ne lui était rien arrivé.

C’est alors que tout a débarqué : pas de marchandise frauduleuse, seulement des objets et cartons tout à fait à nous, mais pas répertoriés par les déménageurs français. Nous aurions voulu faire passer en fraude une poubelle, une échelle, un pot de fleur, etc. Tout s’est résolu. Enfin.... quand nous n’avions rien, j’avais peur, mais quand tout est arrivé d’un coup, j’ai eu peur aussi !

Mais je commence à comprendre le fonctionnement de ce nouveau chez-nous : comme le soleil, je vais me poser toute la matinée dans le salon, passer l’après-midi à regarder Lison bricoler et coudre, me coucher dans la salle de ciné.... Et méditer sur toutes ces aventures.
Il y avait les Serbes de Reykjavík, les boulangers de l’avenue Laumière, les administratifs des universités toulousaines et les mafieux de Naples. Désormais, nous éviterons aussi les déménageurs marseillais et les douaniers paceños....

paguro = bernard-l’hermite