pérou de Maris

Dans les années 1980, Bernard Maris avait enseigné à la Banque centrale du Pérou. Dans toute la région, des entreprises prenaient le contrôle de l’eau, en oubliant que service public signifie servir la population, toute la population.
Alors en 1997, accompagné de Daniel Baudru, il a su expliquer, avec toute la pédagogie qui le caractérisait, que comme l’eau est vitale, elle ne peut pas uniquement être régie selon les critères de l’économie de marché.

Mais tout ce qui a à voir avec l’eau est politique.

En 1880 la Lyonnaise des eaux naît : avec un siècle d’avance, la France fait administrer son eau gratuite par des entreprises privées.... Ce modèle miraculeux devait associer la vertu du public et l’efficacité du privé, pour favoriser l’utilisateur. Les firmes vont en fait s’habituer à gérer un bien gratuit. Et oublier que tout l’argent rapporté par le commerce de l’eau devrait servir à la décontamination, l’assainissement et aux nombreux investissements nécessaires dans cette exploitation.

À un niveau local, en travaillant avec toutes les personnes impliquées, on peut parvenir à une distribution équitable de l’eau. Mais en Amérique du sud, les projets soutenus voire orchestrés par le monde occidental étaient onéreux et n’arrivaient pas à ce résultat. Sans avoir vraiment résolu le problème de manque d’eau, les barrages ont entraîné d’importants dommages pour la nature et l’économie, et ainsi pour les conditions de vie des populations locales.

L’eau est coûteuse à transporter. Elle est fournie aux mégalopoles, dont la demande explose, à des prix d’installation du service et de traitement exponentiels. C’est là que se trouve le deuxième grondement : si la politique ne laissait pas la géostratégie aux entreprises, les modèles de gestion prendraient certainement en compte les contradictions internes, par exemple entre urbains et ruraux. Sans cela, on voit arriver des conflits entre une population de plus en plus concentrée, de plus en plus victime de la contamination (dans son verre et dans son porte-monnaie), et une agriculture de plus en plus de productiviste et consommatrice d’eau. Maris et Baudru se demandent alors combien de temps on pourra, en France, en Amérique du sud, et ailleurs, continuer à subventionner une agriculture toujours plus polluante, alors que les populations urbaines voient leur facture d’eau augmenter sans cesse pour pallier aux coûts de décontamination....

LES QUATRE MODÈLES DE MARIS ET BAUDRU
Dans le « modèle français », une relation de long terme s’établit entre le gouvernement d’un territoire et un grand groupe opérateur. Les pouvoirs locaux négocient le prix de l’eau avec ce groupe, lui délèguent l’exécution du service, mais ils continuent à être responsables de ce système. L’octroi du marché est théoriquement compétitif.
Le « modèle états-uniens » est très semblable, sauf qu’une grande quantité d’opérateurs de petite taille établissent des contrats de courte durée avec les municipalités.
Dans le « modèle anglais », les pouvoirs locaux n’ont pas de rôle et la régulation incombe à un organisme national, qui fixe un indice d’évolution du prix pour les cinq ans à venir.

Et dans le « modèle chilien », un marché intérieur des droits d’usage de l’eau (selon le modèle des droits à polluer) permet aux opérateurs en concurrence de s’échanger ces droits.

Dans tous les cas, les groupes privés captent d’énormes revenus, proportionnels à la durée de leurs contrats.

Mais ces modèles étaient déjà dépassés à la fin des années 1990 : la question de l’eau se pose maintenant au niveau mondial. Même si elle est devenue une marchandise, et quelque soit son mode de gestion, le marché n’est pas apte à traiter la question de l’eau et des autres biens collectifs, à cause de l’impossibilité de définir clairement des droits de propriété. Seul un marché organisé au plan mondial, avec des règles claires de distribution et d’arbitrage en cas des conflits, pourrait fonctionner.
De plus, au vu des morts que crée le manque d’eau chaque année, seul un organisme mondial (comme il en existe un pour le pétrole !) pourrait éviter d’aggraver les déséquilibres nord-sud. Qu’est-ce qui pourrait empêcher les pays qui possèdent de l’or bleu en grande quantité de l’échanger contre d’autres matières premières ou contre des droits à polluer ?
Sans régulation mondiale, les grands groupes additionnent ces revenus à ceux de leurs autres domaines d’action, sans réelle conscience des particularités de l’eau. L’un des principes fondamentaux d’une gestion démocratique consisterait en la réinjection des bénéfices dans la décontamination, l’assainissement, les investissements, etc. Un vrai contrôle de la comptabilité par les citoyens est donc nécessaire. Et la fixation des prix serait alors une simple question technique. Oui mais voilà, les pouvoirs politiques savent protéger dans le domaine de l’eau un fonctionnement qu’ils n’appliqueraient même pas aux transports, au logement ou à la santé....

Découvrir l’eau, avec le CNRS
La marchandisation de l’eau s’accélère, par Marc Laimé
Le forum mondial de l’eau 2015

Bernard Maris, étudiant à l’IEP de Toulouse en 1968 et parrain en 2010, juste avant de rentrer au conseil général de la Banque de France.