pastor inglés

Lison est dehors.
Elle connaît maintenant tout des rues qui nous entourent. Les vendeurs de fruits et légumes, toujours à la même place ; petit bout de trottoir attitré. Il y a ceux qui lui font déjà un prix « casera », celui pour les habitués. Et il y a cette vieille dame, celle qui trouve tellement génial l’idée originale d’avoir un mari mais pas d’enfant.... Elle, veut encore prouver que sa palta est bien mûre, alors elle enfonce son doigt dedans : c’est bon, il peut servir pour l’almuerzo ! Dans notre marché géant, la salubrité aussi est parfois un concept bien abstrait.

Et souvent, le hasard lui fait croiser le chien de son enfance, sur le chemin du supermarché. Est-ce qu’il y va aussi ? Il doit avoir besoin de faire le plein de croquettes plus souvent que moi. En revanche, bien couvert, il ignore le reste du rayon, constitué de multiples vêtements canins : tutus ou treillis, on ne se promène pas à La Paz à poil. Bipèdes et quadrupèdes rivalisent de fluorescence et de brillance. Mais pas moi.

Parce que moi, je suis un Tig au foyer.
J’entretiens toujours les relations de voisinage pour notre famille. Et je me prête à tous types de travaux domestiques.
D’ailleurs, doña Blanca, qui vient trop régulièrement à mon goût, me tirer de mon sommeil par des bruits ménagers effroyables, m’aime bien. Il faut dire que son instrument préféré est le plumeau....
Je passe mon temps à l’espionner et je me plains énergiquement quand elle jette à la poubelle le très vieux bouquet qui me servait de chewing-gum. Ah, les différences de cultures ! Ces bipèdes sont bien artificiels.
Je m’occupe aussi du jardin, bien sûr. Ma technique de taille reste incomprise. Sauf pour le persil, qui pousse mieux depuis que je m’intéresse à lui. Il avait besoin d’une attention vivace pour s’épanouir. Alors que Kevin croit encore que c’est la « musique » qui aide les végétaux.
Je goûte l’eau de presque toutes les essences, pour m’assurer de leur bien-être. Et depuis l’arrivée de la saison sèche, j’ai beaucoup de travail : elles font la tête tous les deux jours, ces arsouilles.
Il faut varier les goûts ; je fais aussi la vaisselle : pots de yaourt ou poêles à magrets. Pour requinquer Kevin, dont le bureau est aussi froid que l’intérieur bolivien moyen en hiver, un pâtissier français et un producteur de canard passent régulièrement. Comment fait-on pour le stock indispensable à mon maître ? On a acheté un deuxième frigo-congélo. Et je ne sais plus où donner de la tête !
Mais j’accepte aussi les miettes de cacahuètes (bien moins nombreuses depuis que Charles ne vient plus prendre l’apéro chez nous), que j’élimine par un petit football-à-noix.
On se nourrit et on se dépense comme on peut. Ici, ils n’ont pas vraiment inventé les insectes !

En ce qui concerne les activités pattales, je tape toujours à la machine et je défile la laine, comme à mon habitude. Aucun de ces deux talents n’est évidemment apprécié à sa juste valeur.
Il faut dire que toute la famille (je me sens moins seul) a une dent contre les vêtements. Depuis que Kevin ne porte presque que d’étranges accoutrements sans dessin rigolo mais pleins d’électricité statique. Et surtout, depuis que ces mêmes uniformes vont régulièrement au pressing, qui nous les rend avec une puissantissime odeur de mazout. Exactement la même que celle qui envahit le couloir de l’immeuble tous les deux jours, et plus généralement l’ensemble des lieux publics. En Bolivie, la propreté gratte jusqu’à l’intérieur de vos poumons.

Alors, tissus vierges de toute agressivité, je me suis mis à la couture. Les patrons, ça me connaît ! Papier calque et crayon de bois ont été minutieusement testés, de même que les restes de telas. Pour ce qui est de la machine, en revanche, j’en suis toujours à l’analyse distanciée. J’ai cru comprendre, avant même d’avoir pu essayer, que la présence de mes coussinets sous la minuscule aiguille n’était pas la bienvenue.
Mais en cachette, quand l’égoïste couturière est sortie, je débobine !