pez

Plus une goutte.

Depuis longtemps, on savait que l’eau manquerait à La Paz. On voyait les glaciers fondre à vue d’œil, et notre Illimani se déshabiller à toute vitesse. On voyait les barrages vides, sur la route des Yungas. On entendait parler des vieilles canalisations, dont s’échappe 40% du précieux liquide par fuites. On entendait parler des pompages illégaux, par les chercheurs d’or et les autres. On savait la très faible saison des pluies de l’été 2016 (janvier à mars). On soupçonnait la mauvaise gestion et les influences néfastes. Mais apparemment, les boules de cristal des autres étaient nettoyées avec ce produit d’entretien bolivien dégueulasse qui sent fort mais ne lave pas grand chose.
Enfin, ce que j’en dis .... je ne suis qu’un chat après tout, je n’aime pas vraiment l’eau.

Il n’y a plus d’eau donc, dans presque toute la ville. 1h30 d’eau marron au robinet tous les 5 jours, pour les plus chanceux. Et des files d’attente, jusqu’aux citernes, qui contenaient avant des produits chimiques ou de l’essence, et sont lavées avec des techniques aussi élaborées que ma toilette de Tig.... Il faut venir avec toute la famille, pour prouver le nombre de personnes. Drôle d’ambiance dans nos rues. Images dérangeantes. Et les Boliviens, vite révoltés, commencent à hausser le ton. La saison des pluies devrait apaiser l’orage jusqu’en avril prochain environ, mais après ?

Seul notre quartier reste épargné. Mais nous habitons près des ministères et près du Président. Alors je commence à entendre sous mes fenêtres des cris et des pétards. Qui sont d’autant plus effrayants qu’ils font hurler à la mort le chien du dessus. Il fait presque autant de bruit que l’horrible petit humain qui vit avec lui. Celui-ci, bolivien, ne doit pas savoir nager.... ça me laisse rêveur ! Alors, comme tous les Paceños, je passe mes journées à la fenêtre à guetter les fortes pluies.

Notre appartement reste un havre de paix tout confort au milieu du désert. On a de la chance. Et je suis heureux comme un petit pez dans l’eau.
Car, tout comme il n’y a pas d’animal s’appelant "viande" en Français, en Espagnol il n’y a pas de "pescado" dans les rivières, contrairement à ce que disent les francophones en vacances en Amérique du sud. Le "pescado", c’est le poisson qui est sur le menu (si rarement !), et dans le lac Titicaca on voit des "peces".
Un même mot en Français, les petits élèves de Lison trouvent ça très bizarre.

Moi, ce que je trouve étrange, c’est leur climat.
En pleine période de sécheresse extrême, El Niño passe par là et crée des énormes inondations, qui polluent les cuves d’eau, noient les parkings et arrêtent les ascenseurs. Mais 3h après le déluge, tout est sec, comme si de rien n’était. Cette année, on a même vu des nuages au mois de juillet.
Difficile déjà de se faire aux "saisons" de l’altiplano. Vous nous manquez : le soleil qui veille si tard en été ; le printemps qui reverdit tout ; le croustillement des feuilles sous les pieds de l’automne.... Ici, on a la sensation que tous les jours se ressemblent, horaires comme températures. Et notre seul repère était bleu : normalement pas un nuage de mai à novembre. Mais, y’a pu d’saison !

Alors on se réconforte comme on peut. On regarde les belles couleurs des montagnes et du crépuscule. On mange bien, on dort bien et on joue à cache-cache. Vous saviez que, bien rangé en forme de poulet, je fait pile la taille de la machine à coudre ?! Et on déguise l’appartement en Silence ça pousse : on aura vraiment tout fait pour que ma tata Roxanne vienne faire un stage chez nous. On a bien reçu de la famille déjà, des Gillocruciens venus sans leurs mouettes, mais ceux-là n’étaient pas peignés comme moi : dans l’air sec de La Paz je suis un rasta.

L’Illimani aussi est décoiffé. Depuis deux ans, on le voit se découvrir sans rien pouvoir faire. Et quand il a neigé dans la nuit, même si ce n’est que pour quelques heures, je reste scotché à la fenêtre du salon à l’admirer. Je sais la chance que j’ai de pouvoir encore espionner les petites cuillères dans le lave-vaisselle, aider Lison à étendre le linge en lui amenant les chaussettes tombées en chemin. Je bois un peu partout dans la maison, jusque dans les douches et les soucoupes de plantes. Je jette de l’eau sur tous les papiers que je trouve, au cas où il s’agirait de billets d’avion. Et je casse des verres Nutella, pour obliger Lison à en racheter et Kevin à boire des mojitos. Il faut tartiner pour vider pour remplir pour oublier.

Ou trouver des distractions nouvelles.
Imaginez : Lison et son bipède charmant s’étaient endormis, sans prendre la peine de se mettre en boule, vers trois heures du matin, après leur retour de Lima en pleine nuit, comme pour la plupart des vols. 8h30, elle est dans une phase de sommeil profond. Des petites mousses fluos dans les oreilles, la bouche légèrement ouverte, et un odorat plus adapté à sentir des vins qu’à sentir un danger.... Sur le ventre, elle a la tête tournée vers la table de nuit, deux centimètres plus haute que le lit, où repose un grand verre d’eau. Je croise les coussinets qu’elle rêve aux masques et tubas de ses vacances, pour que ma blague soit parfaite. Splatch !