liebre

« Clarinette basse », vous connaissez ? Ce monstre est presque aussi effrayant que celui qu’on appelle « L’Aspirateur » !

Tous les jours Kevin et Clarinette se prêtent à d’impénétrables négociations : sûrement pour la convaincre de ne pas me dévorer. Et on entend sortir du bureau des bruits atroces, que Lison fait semblant de ne pas remarquer. Alors je me pot-de-colle encore plus que le reste de la journée, en espérant que cette désinvolture provienne d’une contre-attaque secrète qu’elle aurait préparée, en cas de fuite de la chimère hors de la salle de « répétitions », telle qu’on la nomme pour bien montrer que le calvaire se renouvelle chaque jour.
J’ai peur.

D’autant que d’autres démons sournois ont fait leur apparition chez nous : des fruits mangeurs d’humains ! Ils se sont attaqués à Lison. Je les sens ! Dans ses cheveux quand je l’espionne sur le dossier du canapé, sur ses jambes quand je réclame mon câlin-du-matin, et même sur son bout-du-nez, quand il me prend l’envie d’un bisou-esquimau.
Alors j’ai enquêté, et découvert qu’elle se recouvrait de crèmes aux odeurs sucrées volontairement ! Ces bipèdes sont vraiment bizarres. Déjà, je m’étonnais de ne l’avoir jamais vue faire une vraie toilette : à la place, elle s’enferme dans une toute petite pièce vitrée, où plusieurs litres d’eau se déversent sur elle.... J’ai tout essayé : du regard apeuré à l’entrée dans la salle de torture, jusqu’à la désapprobation soutenue quand elle ressort toute dégoulinante. Mais rien n’y fait.
Depuis quelques semaines, la saison sèche a commencé. Et madame a décidé qu’il était désagréable de perdre sa peau et d’avoir les poils de tête tout emmêlés.... Elle se badigeonne donc. Certes je suis content que ses mains restent douces, mais je ne comprends pas pourquoi elle choisit des odeurs si désagréables, alors qu’un petit baume pour cheveux parfumé à la sardine, ou une délicate crème pour la peau aux essences de saucisson, seraient tellement plus sexy.
Aucun goût !

Mais ils seront quand même toujours mes héros.

J’ai testé plusieurs autres coins de l’immeuble, au treizième notamment. Il y a là une petite forêt de couloir semblable à la nôtre, mais sans restriction grillagère. J’ai d’abord pensé que ces habitants étaient tout simplement plus respectueux des félins que mes maîtres. Mais ils ont en fait une arme bien plus efficace que les fils de métal, si puissante que mon cœur s’accélère à nouveau à la pensée de cette rencontre : des humains miniatures hurlants-et-tripotants. Une version-bêta d’homo sapiens, encore pleine d’anomalies résiduelles. Buguant !
Heureusement, les bras télescopiques de super-Kevin sont venus m’arracher à leurs griffes.

Au même étage, il y a au contraire une bipède ralentie par ses années et par tous les accessoires kitch qu’elle dispose sur son chemin. Moi, j’arrive à me faufiler sans peine entre ces fauteuils inédits, ces guéridons inconnus et ces bibelots innovants. Je ne touche à rien, et je rejette même cordialement les propositions de galletas :j’ai ainsi réussi à l’apprivoiser. Elle laisse maintenant régulièrement sa porte ouverte, pour le plaisir de ses yeux et le développement de ma culture personnelle en matière de décoration d’intérieur.

Mais je dois bien avouer que ça manque vraiment de plantes en bois, de cabanes en carton, et de jeux de balle en papier....

Alors Lison vient me chercher, pour repartir ensemble dans de folles aventures d’escaliers.

C’est décidé, je vais rester aux tribulations du 15A.

liebre = lièvre